Baptiste Beaulieu explique pourquoi il est fondamental de normaliser le besoin d’aller voir un psychothérapeute pour parler. Mais il regrette que la possibilité de consultation n’aille pas de soit tant le remboursement des séances par la sécurité sociale est encore soumis à certains critères.
L’autre matin, j’avais rendez-vous chez ma psy à 8 heures. Ça m’arrange, comme ça je peux attaquer mes visites à domicile à 9 heures.
C’est bien, ça, les psys. Quand ils sont bons : ça permet d’avoir quelqu’un à qui parler de mes difficultés en tant que soignant, et d’autres casseroles rouillées que je traîne comme tout le monde.
Je crois vraiment qu’il faut normaliser le fait d’avoir besoin de quelqu’un pour parler. La vie ne fait pas de cadeau. On ne va pas voir un psychologue car on est faible. On va voir un psy car on est suffisamment fort et sage pour ne pas faire payer aux autres les sentiments qui nous traversent en tant qu’être existant dans un monde difficile.
Mais on va aussi voir un psy car on le peut…
Je mesure le privilège qui est le mien de pouvoir payer ce moment privilégié. Ce n’est pas donné à tout le monde.
Quand la sécurité sociale a proposé de rembourser des séances, j’ai pensé que « c’était bien pour les patients qui n’ont pas les moyens et c’est une juste reconnaissance de l’apport des psychologues à la Santé Publique ». Eh bien je ne pouvais pas me tromper davantage.
Le fait que nombre de psychologues boycottent cette disposition devrait nous mettre la puce à l’oreille. J’ai commencé à le comprendre quand, pour faire entrer un patient dans le dispositif de remboursement j’ai attendu 20 minutes au téléphone qu’une personne de la sécurité sociale me réponde et valide, car oui, c’est soumis à la validation d’un certain nombre de critères, à commencer par l’absence de médicamentation anxiolytique : oui antidépressive, c’est ballot vu que c’est un peu beaucoup les traitements qu’on prescrit aux personnes qui ont besoin d’aller consulter un psychologue rapidement. Et puis de toutes manières on manquait de paperasserie à la con.
Ensuite, il s’agit de trouver un psychologue conventionné. Le chemin de croix continue. Le médecin traitant, s’il le juge nécessaire, car, et c’est bien connu, nous jouissons d’une solide formation en ce qui concerne l’évaluation des troubles psychologiques, remplit une première ordonnance pour une première séance, puis en fonction de ce bilan, s’ensuit la rédaction d’une ordonnance pour sept séances de soutien psychologique.
Est-ce que vous pensez vraiment qu’on résout un problème avec huit séances ? Pas sûr. Heureusement, les huit séances sont renouvelables une fois, mais l’année suivante ! Et puis le message envoyé au patient : « écoutez monsieur, vous avez eu six séances, il s’agirait d’aller mieux d’ici deux séances, sinon il va falloir attendre l’année prochaine ! ».
Après ça va, ce n’est pas comme si c’était difficile d’engager la démarche d’aller consulter un psy quand on va mal…
Et le psy ? Le psy est payé 30 euros. Il doit, en sus, établir un compte rendu. De l’administratif non rémunéré, évidemment. Donc oui au remboursement, bien sûr que oui ! Mais pas à ces conditions déplorables qui concourent à maltraiter les patients, et à précariser les professionnels de la santé mentale.
On ne guérit pas une jambe de bois avec un pansement. On ne s’appuierait pas sur les psychologues libéraux si l’hôpital et les CMP étaient suffisamment financés et dotés. Bel effet d’annonce politique, très séduisant dans un contexte de pré-campagne électorale… Cela fera du bien aux sondages de certains. Pas sûr que cela soulage les patients de leurs maux, que cela respecte les psychologues ni que cela allège l’emploi du temps des médecins. Les patients, les psys, et les médecins méritent mieux que cette nouvelle usine à gaz. Nous pouvons les soutenir sur les réseaux, avec le #manifestepsy.
— France Inter – Lundi 31 janvier 2022 par